Beckman, 2016.5.12
La scène musicale explosive des années 1980 à New York en photo
La photographe Jeannette Beckmann se souvient de cet âge d’or musical et stylistique.
Janette Beckman Run-DMC with Posse in Hollis, Queens 1984 Museum of the City of New York. Gift of Janette
Beckman, 2016.5.12
En 1980, New York n’était que l’ombre d’elle-même, résumée à des piles de gravats dans les quartiers noirs et latino partout dans le Bronx, Brooklyn, le Queens et Manhattan. Les propriétaires laissaient leurs biens se gâcher, allant même jusqu’à engager des pyromanes pour mettre leurs immeubles en feu et ainsi collecter l’argent de l’assurance. Avec les refus constants de l’aide gouvernementale sous le mandat de Nixon et sa politique de « benign neglect », les infrastructures sont tombées en ruine, et le crime s’est consolidé. Et pourtant, parmi ce paysage glauque et sans espoir, une nouvelle génération s’affirmait avec le dicton, « Necessity is the mother of invention ».
Alors que les populations blanches se sont enfuies en masse pour former l’hermétique sécurité des banlieues de classe moyenne, les loyers ont chuté, permettant ainsi à quiconque de pouvoir travailler, vivre et s’amuser à New York. Sans la menace du tout policier ou de l’étouffement de la gentrification, les gamins couraient dans les rues, les clubs et les bars étaient en train d’inventer leurs propres styles d’art et de musique, hip-hop, punk, disco, salsa, jazz, et No Wave, pour ainsi former les fondations de ce qui allait suivre dans les décennies à venir. C’était un âge d’or, celui qui est célébré par la nouvelle exposition New York, New Music: 1980–1986 au Museum of the City of New York, qui rassemble art, mode, clips vidéos, disques vinyles, photographie, pour une vision kaléidoscope de la scène musicale la plus innovante de l’histoire de la ville.

Pour la photographe britannique Jeannette Beckmann, qui est arrivée à New York à Noël 1982 sans jamais repartir :« Tout était authentique, cela venait des rues et du cœur des gens. Le hip-hop était au centre de tout cela. L’économie était mauvaise, et tout le monde avait décidé de faire les choses à la manière dont il le souhaitait. Les gamins faisaient le mur de chez leurs parents à minuit, allaient dans une gare relais pour peindre, puis rentraient chez eux avant d’aller à l’école. D’autres gamins écrivaient de la poésie dans leur chambre, s’entrainaient dans la rue, avant de rapper sur scène, s’entourant de leur communauté. La créativité venait des artistes, et pas de quelqu’un qui leur disait quoi faire. »
Dans la scène hip-hop qui se développait, Jeannette a vu une passion, une intensité, une volonté et un engagement nés d’une rébellion adolescente, dont elle est tombée amoureuse après une carrière comme photographe musicale pour Sounds dans les années 1970 à Londres. Le destin a fait que le punk est arrivé sur le devant de la scène juste au moment où Jeannette quittait l’école d’art, et elle a rapidement gravité autour de cette culture rebelle très vibrante qui s’emparait du Royaume-Uni.

« Tout à coup il y avait des personnes avec des crêtes complètement folles, qui portaient des sacs poubelles et des piercings, c’était extrême. Ils se rebellaient contre la reine, contre le pays, contre les lois qui les avait laissés à la même place pour des centaines d’années et qui ne permettait aucune mobilité de classe. Puisque leurs circonstances étaient difficiles, ils n’avaient pas de choix. La classe ouvrière a cassé le système qu’on leur avait imposé, et c’est exactement ce qui s’est passé avec New York et le hip-hop. »
À l’automne 1982, Jeannette prenait des photos de la scène musicale londonienne pour Melody Maker alors qu’elle entend parler de cette chose nouvelle que l’on appelait le hip-hop et qui arrivait au Royaume-Uni. Elle s’est proposée pour photographier le New York Scratch and Rap Review, un concert qui allait ressembler Afrika Bambaataa, Rammellzee, Fab 5 Freddy, Rock Steady Crew, The Double Dutch Girls, ainsi que des peintures live de Dondi et Future. Elle a été immédiatement époustouflée par ce nouveau style et ce nouveau son qui venaient de New York.

« Ils portaient des Kangols, des Cazals, des combinaisons avec des lettres d’un côté et des baskets impeccables et parfaitement lacées. On avait jamais vu quelque chose de tel auparavant. Ils avaient l’air si cool. Ils avaient une positivité folle, le sentiment qu’ils étaient là pour une raison et chacun faisait son truc. C’était une explosion de culture comme je n’en avais jamais vu auparavant. » raconte Jeannette avec un trémolos dans la voix près de quarante ans plus tard.
Transie, Jeannette débarque à New York quelques mois plus tard, on s’embarquant dans ce qui allait devenir un voyage à travers la première décennie du hip-hop dans l’industrie de la musique. Elle dormait dans un loft d’un ami sur Franklin Street à Tribeca quand le quartier se résumait encore à une série de hangars abandonnés. Même si Jeannette pouvait voir l’entrée du Mudd Club depuis sa fenêtre, elle devait marcher un certain temps pour faire ses courses. « Les paroles de 'The Message’ résonne encore dans ma tête : 'Rats in the front room, roaches in the back / Junkies in the alley with a baseball bat’ » se souvient Beckmann. « C’était sombre, ça faisait peur mais c’était aussi génial. Je vivais dans un immeuble avec pleins d’artistes et de musiciens, on pouvait sentir l’énergie dans l’air. Il y avait toujours quelque chose qui se passait dans la rue. En tant que photographe c’était incroyable. »

Après avoir déménagé dans le East Village à la moitié des années 1980, Jeannette avait l’habitude de se promener dans les rues en cherchant l’endroit parfait pour photographier les gens du hip-hop comme Boogie Down Productions, Eric B. & Rakim, Salt-N-Pepa, MC Lyte, Stetsasonic et UTFO alors qu’ils sortaient le hip-hop des gymnases et des clubs locaux pour l’emmener vers les maisons de disques, sur les ondes radio et même dans la culture mainstream quand Fab 5 Freddy a lancé « Yo! MTV Raps » en 1988.
Mais c’était encore vraiment une culture do it yourself que les artistes avaient créé pour eux-mêmes, et on en ressent encore l’influence aujourd’hui. Les photographies iconiques prises par Jeannette de Rob Base et DJ EZ Rock pour leur album platinium de 1988 It Takes Two ont inspirées la nouvelle campagne pour la collaboration Louis Vuitton avec Nike Air Force 1 dessinée par Virgile Abloh. « Cette image incarne les pratiques du début du hip-hop qui rassemblaient la mode de luxe avec le sportswear, chaque marque était considérée avec le même respect » annonçait Louis Vuitton dans un communiqué de presse le 24 juin.
Tout comme la musique, le style de la rue est né d’un mélange. En revisitant les symboles, le hip-hop a donné au luxe une attitude qu’il n’a jamais eu, une pratique qui allait mener les grandes maisons à se tourner vers la rue pour s’inspirer. Jeannette se souvient : « il n’y avait pas de styliste à l’époque. Quand je photographiais Run-DMC à Hollis dans le Queens pour The Face, ils s’habillaient eux-mêmes. Ils étaient là, fidèles à qui ils étaient, parfaitement habillés. Salt-N-Pepa s’étaient ramenées pour notre shoot avec des vestes Dapper Dan, des pantalons en spandex rouge, et des bottes assorties. Ils faisaient leur propre leur propre styling. Tout était une question d’attitude. »
Cet article a été initialement publié par i-D UK.






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